side-area-logo

par Julie Crenn, pour l’exposition NO GO ZONES, Galerie Lara Vincy 2016.

A propos de Julie Crenn:
Julie Crenn est critique d’art (AICA) et commissaire d’exposition indépendante. Depuis 2018, elle est commissaire associée à la programmation du Transpalette – Centre d’art contemporain de Bourges.

En 2005, elle a obtenu un Master recherche en histoire et critique des arts à l’université Rennes 2, dont le mémoire portait sur l’art de Frida Kahlo. Dans la continuité de ses recherches sur les pratiques féministes et décoloniales, elle reçoit le titre de docteure en Arts (histoire et théorie) à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux III. Sa thèse est une réflexion sur les pratiques textiles contemporaines (de 1970 à nos jours). Depuis, elle mène sur une recherche intersectionnelle basée sur les corps, les mémoires et les militances artistiques.

NO GO ZONES

Le théâtre de la guerre comporte des zones de danger. Des zones stratégiques, qu’elles soient offensives ou défensives. Des zones de surveillance, de repli, d’attente. Le décor de ce théâtre sanglant, passé et actuel, articule des figurants, des armes, des objets, des accessoires signi­fiant le combat et la hiérarchie. Léa Le Bricomte s’emploie depuis plusieurs années à décrypter les codes de ce théâtre en s’appropriant tous les éléments : concrets et symboliques. L’artiste détourne les objets de guerres issus de différentes civilisations et hybride deux dimensions anti­thétiques : la guerre et la spiritualité. Aux drones ultra-technologiques, Léa Le Bricomte répond par la collaboration avec des pigeons voyageurs équipés de micros-caméras. Les pigeons étaient utilisés pendant la Première Guerre mondiale pour transmettre des informations d’une tranchée à une autre. L’animal volant était considéré comme un outil de communication. Pour déjouer l’aspect infaillible de la surveillance guerrière, l’artiste réinjecte une part organique, animale et humaine. Une part aléatoire et imprécise qui souligne la vanité et l’absurdité des combats. Nous retrouvons les plumes de pi­geons en interaction avec des grains de maïs et un obus de mortier explosé. L’artiste mixe deux éléments guerriers : industriels et chamaniques. Plus loin, elle déploie un Mandala doré formé de centaines de cartouches d’arme à feu. L’oeuvre, résultat d’un rituel emprunté à l’hindouisme, combine la guerre et la paix. De même, elle reformule la Stupa (architecture sacrée bouddhiste) au moyen d’un missile et d’un socle en bois. Les associations de formes et de références engen­drent un pouvoir symbolique où la violence s’éclipse au profit d’une ouverture mystique, médi­tative et altruiste. Léa Le Bricomte foule une zone épineuse, celle des idéologies. Par l’appropriation des résidus d’idéologies guerrières et fascistes, elle formule un discours profondément humaniste et paci­fiste. Ainsi, un timbre hitlérien est recouvert de mantras écrits à la main. La répétition convoque le dépassement. L’artiste plonge aussi des drapeaux tibétains dans un bain d’encre de Chine. L’encre possède ici une double signification, elle symbolise autant le recouvrement (la domina­tion) que la réconciliation et la résilience. Les objets de violence et de pouvoir sont alors détour­nés, réincarnés et réhabités par de nouveaux pouvoirs. Tel un Ying-Yang, la nature humaine est envisagée comme une entité double et complémentaire dotée d’une face lumineuse et d’une face obscure. En s’emparant des objets et du lexique guerrier, Léa Le Bricomte en retourne la face sombre et belliqueuse. Sans jamais l’éviter ou la nier, elle la travaille comme une matière pour en dégager une nouvelle substance : humaniste, apaisée, harmonieuse et réjouissante.

Recommend
Share
Tagged in