par Barbara Forest, extrait de la monographie WAR ROOM 2014.
A propos de Barbara Forest:
Barbara Forest a récemment été nommée conservatrice au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS).
Alors qu’elle est encore adolescente, Barbara Forest découvre l’art océanien pour lequel elle nourrit rapidement le plus vif intérêt. Cette passion la conduit, à l’issue de ses études secondaires, à entreprendre des études d’histoire de l’art. Inscrite à l’École du Louvre, elle se spécialise finalement en art contemporain. Elle réussit le concours de conservateur du patrimoine puis achève son cursus par la formation de dix-huit mois qui s’ensuit. Tout juste diplômée, Barbara Forest choisit le musée des Beaux-Arts de Calais comme première affectation. Après y avoir officié pendant plus de dix ans en tant que conservatrice, elle a obtenu un poste équivalent à Strasbourg, où elle gère désormais la collection d’art moderne du MAMCS.
MONUMENT
Léa Le Bricomte a fait sienne la formule de Robert Filliou, « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». On pourrait même dire qu’elle l’a pris à bras le corps. Sa pratique met effectivement la pulsion de vie au coeur de son travail. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle pratique la performance, que son corps soit régulièrement l’objet et le sujet de ses actions, que l’animal soit convoqué et que les armes apparaissent de manière récurrente. En digne héritière de l’artiste iconoclaste et internationaliste, le jeu est une de ses stratégies artistiques et la paix, un de ses enjeux. Léa Le Bricomte explore ainsi l’univers guerrier en ayant recourt à des matériaux et à une iconographie militaire : obus, balles, cibles, médailles, menottes qu’elle collectionne, récupère et pacifie.
Dripping Medals (2012) est une installation de médailles pendues, accrochées au mur les unes à côté des autres. Le titre et la composition géométrique des bandes verticales indiquent une relation étroite à la peinture américaine des années cinquante de Barnet Newman et à la technique du peintre Jackson Pollock où la coulure de la matière devenait le sujet même de la peinture. C’était une action testamentaire, celle qui signait la fin de la prédominance de la touche artisanale, du pinceau, et de la main comme le prolongement de la pensée. La naissance d’une approche mécanique et industrielle de la peinture venait d’apparaître, celle d’un corps en mouvement. Léa Le Bricomte ne détourne pas la signification des médailles et les utilise pour ce qu’elles sont, des signes de reconnaissance d’une action, d’un engagement et de valeurs. Par contre en présentant ces rubans colorés de différentes nationalités les uns à côté des autres, elle désacralise l’ultra personnalisation de l’insigne et nivelle les différentes célébrations, du travail et de la guerre. C’est à partir de ces mêmes rubans de médailles qu’elle fabrique Flag. Réunis et collés, ils forment un drapeau multicolore désignant un pays imaginaire ou plutôt une confédération que l’on imagine pacifiste et multi-culturaliste, qui tire de sa différence et de sa diversité toute sa puissance.
Le Mandala réalisé à partir de douilles récupérées dans des stands de tirs est récurrent dans le langage plastique de l’artiste. Puisant ses influences dans le monde bouddhiste et tibétain en particulier, Léa Le Bricomte réalise des mandalas de sable, et s’approprie cette pratique spirituelle pour créer des mandalas de graines comestibles pour oiseaux ou de balles. Ces nouveaux supports de méditation en trois dimensions au dessin géométrique affirmé placent le spectateur devant une image contradictoire. Pourtant accompagné par l’enregistrement sonore d’une cérémonie bouddhiste près de Paris, le tintement aigu rend l’assemblage métallique musical et audible. De silencieux et intimidant, le plateau armé devient une composition harmonieuse. Sous un nom martial, la série Guerre de Tribus, associe obus de mortiers, APAV 40 et grenades à des plumes et des tressages en cuir issus d’une réserve indienne huronne-wendate du Québec, située dans la région administrative de la Capitale-Nationale du Québec. De 1500 habitants cette communauté dynamique parle le français mais la langue wendate, endormie depuis plus d’un siècle, est en cours de revitalisation. Depuis quelques années certains de ses membres se sont tournés vers la culture et les traditions de leurs ancêtres. L’utilisation des plumes, des techniques de tressage et du drapeau est une manière de rétablir dans le déséquilibre universel du traitement de la mémoire, celle de ceux à qui on a voulu la dérober. Suite à sa résidence de création et de production à Calais dans le cadre du Jardin des arts, Léa Le Bricomte présente de nouvelles oeuvres, Drone et Sounds of war exposées comme les précédentes au sein de l’exposition Monument. Pendant plusieurs semaines, elle a suivi avec des colombophiles le vol de plusieurs de leurs pigeons au-dessus de Calais. Equipés d’une petite caméra qui a filmé leurs allers et retours, les pigeons font découvrir autrement le paysage calaisien qu’ils survolent. Leur vol agité déstabilise notre perception de la ville et le point de vue aérien si inhabituel trouble, y compris physiquement, le spectateur. Utilisé encore aujourd’hui à des fins militaires, l’artiste en détourne l’usage et fait de l’animal une nouvelle source d’informations, parodiant nos systèmes de surveillance contemporains. Dans l’oeuvre de Léa Le Bricomte, l’installation Sounds of war est aux obus ce que Drone était aux animaux vivants : une étape supplémentaire vers des formes plastiques abouties et construites qui conservent toute l’énergie et le souffle des oeuvres participatives et performatives. Sounds of war est une installation d’obus dont l‘artiste a « refroidi » la charge et les enjeux, comme le dit Michel Aubry à propos des objets de guerre qu’il ramassait enfant sur les champs de bataille. En les posant délicatement sur des petits coussins à bols chantants tibétains chatoyants sur un tapis au motif tiré du livre des morts tibétain, La libération par l’écoute dans les états intermédiaires, elle les éclaire et leur donne, ou leur rend, tout leur « éclat ». A nouveau Léa le Bricomte, révèle bien des histoires : celle qui fait passer l’arme fabriquée industriellement à l’instrument de musique, celle du collectionneur qui l’a conservée, celle de celui qui l’a décorée, celle du ready made…Sa démarche évoque également toutes ces « munitionnettes », ces femmes de 1914 qui n’avaient pas encore le droit de vote mais que la guerre va précipiter vers des métiers jusque-là réservés aux hommes. La femme qui fréquentait les usines de textiles et de bonneterie, va fabriquer désormais des munitions, conduire des ambulances, revêtir la casquette de chef de gare. C’est de cette histoire-là que Léa Le Bricomte s’empare aussi en nous offrant cette sculpture cérémonielle et musicale animée du souffle de la vie.