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par Guy Sioui Durand, Extrait de la revue Inter, art actuel  N°121.

A propos de Guy Sioui Durand:

Guy Sioui Durand est Sociologue (PH.D.), critique d’art et commissaire indépendant. Chargé de cours depuis 1978 et conférencier de renom, il a développé depuis 1993, fusionnant les formes autochtones de l’oralité  avec les codes de l’art performance, ce qu’il appelle des harangues performées. Homme de pensées (théories, écrits et transmissions) et d’actions (événements, conférence-performance, activités médiatiques) c’est en ce sens que l’art actuel et l’art amérindien sont ses domaines d’intervention.

En tant que témoin et analyste de la culture de son époque, Paul Ardenne se situe dans une position d’inclusion agrégeant l’art en contexte réel (art d’intervention et d’implication sociale directe), les représentations extrêmes, l’architecture radicale, la photographie prospective ou ce qu’il appelle l’art «entrepreneurial», sans exclure les esthétiques dites de la réconciliation de soi (Portraiturés, 2003 et Pierre et Gilles, 2007).

MANDALA FOR BIRDS

Sous les traits d’un pigeon se camoufle parfois la lutte pour le vivant. Et celle-ci habite, hante les marges dépouillées de l’écosystème bien nanti de l’art par ses places publiques. Le parvis des grands musées a succédé à ceux des grandes églises comme formidables agoras populaires. S’y côtoient les foules des amateurs d’art qui se pressent pour entrer dans l’édifice, des passants anonymes, des badauds, des sans-abris et… des oiseaux ! Que ce soit sur le parvis du Grand Théâtre à Calais ou à Beaubourg, ou celui du Centre Georges Pompidou consacré à l’art contemporain à Paris, les oiseaux esquissent un surprenant combat. Le 17 janvier 2012, journée mondiale de la Fête de l’art décrétée par l’artiste Fluxus Robert Filliou, la température est crue et la pluie froide menace la ville de Calais dans le Nord de la France. Dehors, Léa Le Bricomte réalise Mandala for Birds, un mandala fabri­qué en graines pour les oiseaux sur la place du théâtre de la ville. Son installation au sol respecte les principes d’origine tibétaine, mandala étant un mot sanscrit: d’une part son minutieux dessin dégage l’énergie du cercle représentant l’unité et la totalité, d’autre part l’artiste a substitué au sable des graines que l’on donne à manger aux oiseaux, introduisant ainsi l’impermanence, un autre précepte bouddhiste. Le mandala à peine achevé, les oiseaux, dont de nombreux pigeons colombins, commen­cent à picorer les graines et, par-là, à amorcer la dissolution des motifs, en accord avec le rituel de destruction qui symbolise l’acceptation que tout est éphémère. Léa Le Bricomte canalise alors une intéressante osmose avec l’art actuel qui accorde l’importance au processus plutôt qu’au résultat. Or, sous ce processus d’art imbriquant place publique, oiseaux et spiritualité à Calais, se camouflent encore, un réseautage et un engagement insoupçonnés, que l’on pourrait résumer par un personnage hors norme qui, lui, nous transporte au coeur de la ville de Paris. Quotidiennement près de l’Atelier Brancusi reconstruit, un homme courbé mais digne prend soin des nombreux pigeons qui y quêtent une quelconque pitance urbaine. Il leur donne à manger, bien sûr, mais il repère de plus ceux qui sont meurtris pour les soigner. Souvent des gens lui amènent des oiseaux blessés. Cet homme d’apparence humble s’appelle Giuseppe Belvedere. Dans ce quartier indifférent de la part des passants et même hostile de la part des agents de l’ordre et des commerçants alentours, il est constamment l’objet de quolibets, de harcèlements, d’attaques et de contrôles. On le qualifie de marginal parce qu’il affec­tionne ces animaux qualifiés par plusieurs de sales, d’infectés, de parasites. Giuseppe leur oppose une bonté aux rhizomes artistiques insoupçonnés. Loin d’être seul, cet homme possède quelques rares complices sur le terrain. Non seulement ils l’aident à aménager de manière décente le vieux ca­mion dans lequel il vit depuis qu’il a été abusivement expulsé de son appartement, mais ils activent sa page Facebook, « Les amis de Giuseppe », consultée par quelque 8000 personnes sympathiques à sa cause animalière. Et Léa Le Bricomte est une comparse de Giuseppe. Que ce soit dans ses instal­lactions publiques comme Mandala for Birds, sa manoeuvrevidéo Drones (Calais, automne 2014), ses performances, photographies et peintures organiques dérivées d’Opération escargot, 2009-2012) ou ses récents dessins sur papier de pigeons mêlant ésotérisme et héraldisme (Les messagers, 2015), un tout autre éclairage sur son travail apparaît ainsi. Il nous révèle que, de manière souterraine et ramifiée, avec comme ancrage et inspiration le dénuement des actions humbles d’un Giuseppe, une authentique attitude d’art, cette scription (gestes et traits) dans l’espace, se fait oeuvre par, avec et pour la cause non seulement des oiseaux, mais bien d’une éthique élargie de protection de tous les genres vivants, en particulier ceux en péril.

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