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par Anaïd Demir, extrait du catalogue Prix Science Po pour l’art contemporain, 2011.

A propos de Anaïd Demir:

Anaïd Demir est critique d’art et journaliste (elle fait partie de la rédaction du magazine Jalouse). Après une maîtrise d’histoire de l’art à la Sorbonne , « Perec et l’Oulipo à travers l’oeuvre de trois artistes actuels: Claude Closky, Guy Limone et Jean-Jacques Rullier », elle débute dans la presse artistique à Technikart en 1995.

De 2001 à 2007, elle est chargée de l’art contemporain à la rédaction du Journal des Arts, ensuite elle assure la rédaction en chef de Be Contemporary (2007-2009).

Elle a, à ce jour, rédigé une dizaine de monographies de jeunes artistes et a été à plusieurs reprises commissaire d’exposition pour La Blanchisserie à Boulogne, en 1999 et 2005, et co-commissaire pour Global Tekno, La Beauté en Avignon. Elle a réalisé une douzaine de reportages télévisés faisant chacun le portrait artistique d’une grande ville du monde et assure des chroniques artistiques sur les ondes de Radio Nova. Elle est co-auteur de l’unique monographie du cinéaste Coréen Kim Ki-Duk (2006).

LEA LE BRICOMTE

Léa Le Bricomte ne ferait sans doute pas de mal à une mouche… mais elle a dans sa besace une armée d’escargots à son service, des plantes carnivores en cas de fringale, des balles de tout calibre, de la vaseline, du miel, des armes à feu, des uniformes et des galons, des obus, un tapis de menottes, un parachute doré… et autres trésors de guerre. Probablement capable de fabriquer une bombe dans sa cuisine, c’est pour l’instant, le champ de l’art qu’elle prend pour terrain de ses expériences qui sentent le souffre, la salade verte et la poudre à canon. Parmi les premiers petits soldats de son royaume expérimental, on trouve l’escargot. Cet inoffensif gastéropode, visqueux et invertébré, se glisse avec souplesse dans la plupart de ses performances, photographies, vidéos et installations. La série de sculptures « Snails City » leur offre un lieu de vie proche de la maison-cerveaux et prévoit une multitude d’activités ludiques, mais roulés dans la farine. A la fois sujet et objet, c’est en colonie qu’ils envahissent les corps nus que Léa Le Bricomte leur offre en pâture, et ils quadrillent alors ce paysage de leurs secrétions luisantes. Entre attirance et répulsion, désir et dégôut, Léa Le Bricomte réinvente l’art corporel des années 70 et l’applique en douceur à l’ère du bio et de l’organique. Les lents déplacements de l’invertébré sur ces géographies humaines dégage une grande charge érotique. Alors que l’escargot prend des airs de sextoy et que ses sécrétions rappellent les fluides humains, la charge sexuelle se précise avec une vidéo qui fait directement allusion à « L’Origine du Monde » de Courbet : les escargots partent à l’assaut d’un sexe féminin. Comme une vermine qui dévore un cadavre, l’escargot laisse aussi planer l’ombre de la mort sur son passage. Il ingurgite tout ce qu’il rencontre en émettant des sons voraces. Il devient alors un parfait ouvrier pour une série d’affiches monochromes qu’il mite avec talent. Quant à ses excréments monochromes, l’artiste les expose dans des boîtes transparentes comme des trophées. Entre pulsions de mort et instinct de survie, cette petite soeur de Chris Burden et de Gina Pane fait pulser le sang dans nos veines et fait monter l’adrénaline à travers ses oeuvres. Alors que certains craignent le contact avec les plantes carnivores, elle, n’hésite pas à les absorber face caméra avec aplomb. Et puisque la vie prend un nouveau sens quand on lui oppose la mort, une rangée de balles dorées de différents calibres sont alignées sur une étagère : ils incarnent la fascination pour le pouvoir mais nous rappellent surtout à nos conditions de mortels. Entre douceur et violence, Léa Le Bricomte manie sans cesse des objets dont la charge semble aussi érotique que la réputation explosive. Ses obus par exemple, sont remplis de miel : est-ce une allusion aux fluides sexuels ou au fait que les abeilles sont de bons soldats ? Une spirale de menottes en latex, des préservatifs usagés moulés dans du plomb ou des « Balles glissantes » faites à base de vaseline… chaque fois, le désir est le détonateur de cette oeuvre fougueuse.

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